Note liminaire
Ce sont deux textes parvenus
jusqu’à nous, appelés « Vie de saint Léodgar (ou saint Léger ou encore Léodegher),
évêque d’Autun », écrites, l’une et l’autre par deux de ses
contemporains qui nous éclairent sur les démêlés entre deux aristocrates du VIème
siècle.
La première
« vie » fut écrite par un moine de Saint Symphorien d’Autun qui n’a
pas laissé son nom et la seconde le fut par un abbé du
monastère de Ligugé en Poitou du nom d’Ursin. Ces deux écrits sont sensiblement
identiques à quelques détails prêts.
Ces textes qui sont
des panégyriques écrits par des religieux amènent à douter de l’entière
véracité des faits rapportés, en particulier en ce qui concerne les caractères moraux attribués à chacun des personnages.
Il appartiendra au lecteur de conserver l’opinion qu’il lui
plaira des deux hommes que furent Léger et Ebroïn.
V ers 660 Ebroïn, maire du palais (maire du palais :
fidèle investi da la confiance du roi) régnait sur la Burgondie et la Neustrie au nom du roi
Clotaire III.
Violent, orgueilleux, intrépide, cupide et surtout sans
scrupule cet Ebroïn. Peut-être aussi de la même trempe que Brunehaut. Sans morale
aussi. Prêt à tout pour asseoir son autorité au détriment de l’aristocratie qui
l’a porté à la mairie. Prêt à tout aussi pour s’approprier les profits tant pour
son compte personnel que pour ceux de son clan. Tyrannique, il parvient à mâter
les grands en Neustrie et finit par y régner en maître absolu. Les grands de
Burgondie et d'Austrasie, plus retors, regimbent. Aussi, à son avènement, comme pour faire un
exemple, il aurait fait assassiner l’évêque de Lyon qui refusait de plier à sa volonté. Léger,
un aristocrate, nommé évêque à Autun par la reine Bathilde qui gouvernait alors avec son fils
Clotaire, armé de sa seule foi chrétienne se dresse sur son chemin. Sa détermination et son
courage devant Ebroïn finiront par lui coûter la vie. En
reconnaissance de ce sacrifice fait dans le foi chrétienne l’Église le
sanctifiera pour en faire saint Léger.
Membre d’une grande, influente et riche famille, Léger(voir note)
jouit d'une estime générale bien établie jusque dans les trois royaumes. (Austrasie, Neustrie, Burgondie).
L’exercice de son autorité d’évêque ne tarde pas à susciter des jalousies et à lui créer des ennemis parmi les grands
dont les griefs trouvent un écho favorable auprès d’Ebroïn déjà rempli de haine
pour Léger qui refuse obstinément de plier à sa volonté. Un fort contentieux
s’installe entre les deux hommes.
Le roi Clotaire III trépasse en 670. Ebroïn, par abus
d’autorité, sans consultation des leudes et en violation des coutumes établies,
proclame roi le jeune Thierry (futur Thierry III).
C’était outrepasser ses droits. C’en est trop pour les leudes
exaspérés qui répondent à cet acte par une insurrection totale. Devant le
danger, Ebroïn s’enfuit, sa fortune est dispersée ; il n'aurait eu la vie sauve
que grâce à une intervention de Léger. La tonsure et la relégation
au monastère de Luxeuil furent sa seule punition. Quant à Thierry il disparut momentanément de la scène,
enfermé au monastère de Saint-Denis. Ebroïn éliminé, les grands, alors en position de force
imposent leurs conditions au successeur de Clotaire, le roi Childéric (Childéric II).
Ainsi, ils demandent que : les
peuples de chaque origine, Bourguignons, Francs, Romains, reprennent
leurs lois et leurs coutumes(1) et qu'afin d' éviter le retour d’une dérive autoritaire
du pouvoir et mieux le contrôler, la
mairie soit tenue à tour de rôle par les grands.
Le nouveau jeune prince n'accepta pas la perte son autorité.
Il viola le pacte et s'attira aussitôt les remontrances de Léger. La bonne entente entre le prince et les
leudes s'effrita. La haine même s’installa et s’envenima entre Léger et
Childéric à tel point qu'il voulut le tuer. Ce dernier appelé à la
modération par son entourage, se contenta de le reléguer à Luxeuil. Comme par hasard, auprès de
son vieil ennemi Ebroïn
L eur relégation ne dura pas. En 674, à la nouvelle de la
mort de Childéric II (survenue en 673, assassiné lors d’une partie de chasse), les
deux hommes sortent du monastère en se faisant la promesse mutuelle de rester
en bons termes et prennent la direction d’Autun où Léger retrouve toute son
autorité auprès des grands. Comme toutes les résolutions, celle-ci ne dura pas et
la trêve fut rompue au premier désaccord : Ebroïn voulant reprendre la mairie,
Léger voulant y installer Leudès, (Leudisius), un de ses partisans . Cela suffit pour signer la
fin de l’entente, le début d’une nouvelle lutte. Ebroïn, jette son habit de
moine, reprend sa femme puis ameute amis, connaissances, aventuriers tous en armes,
bien décider à prendre par la force ce que lui refuse Léger.
Pris d’inquiétude devant l’action envisagé, il se rend néanmoins auprès de Saint Ouen(2), l’évêque de
Rouen, pour lui demander conseil. Le prélat lui répond :
« Qu’il te
souvienne de Frédegonde ! », « Ebroïn, comme il avait l’esprit ouvert compris ».
Sur cette
réponse, sans doute rassuré et déterminé, il engage l’offensive
contre le clan du nouveau roi Théodoric, contre Léger et contre le maire du
palais et proclame roi un enfant prétendu fils de Clotaire III sous le nom de Clovis.
Ebroïn et sa troupe surprennent le roi à
Saint-Cloud. S'il ne lui fait aucun mal, (se contentant de le retenir prisonnier et
de répandre le bruit de sa mort, sans oublier toutefois de se servir en pillant le trésor royal et les biens de
l’Église) il fut, par contre, sans pitié pour son rival Leudès, qui fut traîtreusement massacré.
La reconnaissance par
les grands du faux roi imposé par Ebroïn fut chose plus facile en Neustrie qu’en
Austrasie et en Burgondie où grands refusent toujours de se soumettre. Ebroïn, alors,
va concentrer sa haine sur Léger qui avait conseillé Chilpéric. Il délègue à
deux de ses fidèles, Diddon (évêque de
Chalon-sur-Saône) et Waimer (Duc de
Champagne), mis à la tête d’une troupe nombreuse, le soin de se rendre à Autun et de
capturer Léger afin d’y exercer toute sa vengeance. À l'approche de cette troupe,
Léger refusa de s’enfuir, soutenu
par les habitants prêts à tout pour défendre leur évêque. Mais les adversaires étaient trop nombreux.
Après plusieurs jours
de combat, et une tentative de conciliation, voyant la cause perdue, Léger préféra
se livrer à ses ennemis, prêt à sacrifier sa vie pour sauver sa ville. Il se livra aux tourments des deux
chefs de guerre d’Ebroïn qui le supplicièrent en lui arrachant les yeux ; supplice
qu'il aurait supporté d’une façon surnaturelle, sans qu’aucun son ou cri de douleur ne
sortit de sa bouche. Puis, dans l’état misérable où il avait été réduit,
Léger fut ensuite conduit au fond d’une forêt avec l’espoir que sa fin ne tarderait pas.
L’élimination de son ennemi n’ouvrit qu’une soumission partielle de
la Burgondie à Ebroïn qui dut encore batailler pour tenter de s'imposer :
ses troupes furent même mises en échec devant Lyon.
Au comble de sa puissance, il remit sur le trône le roi Thierry
III et passa son temps à acheter des fidèles et des
partisans et à éliminer ses détracteurs.
Une forte constitution et les bons soins des religieux qui lui offrirent refuge dans leur monastère
sauvèrent Léger d'une mort certaine. Sa réputation
toujours grandissante ne cessait de faire à Ebroïn une ombre devenue
intolérable. Il lui fallait consommer sa vengeance. Aussi, cherchant un motif
pour se débarrasser définitivement de Léger, Ebroïn prit prétexte de venger le
mort du roi Childéric. Un synode épiscopal reconnut Léger coupable de cette mort ; la
sentence disait que Léger ne devait plus vivre.
Ils s’en prirent pour commencer à son frère Guérin, maître
de la puissante forteresse de Vergy, (Hautes-Côtes dijonnaises), qu’ils lièrent à un arbre
et qu’ils lapidèrent. Puis vint le tour de Léger. En l’année 678, il fut livré
aux supplices, tous plus cruels les uns que les autres avant d’être remis dans les mains de son bourreau,
un comte du palais, qui lui coupa la tête d’un coup de glaive.
Mort en martyr, la fin tragique de Léger émut les esprits.
Sa renommée continua à croître et l’Église catholique honore maintenant son nom en saint
Léger.
Son vainqueur, Ebroïn qui fit périr tant de personnes par le glaive,
mourut lui aussi par le glaive quelques années plus tard.
En 683, un Neustrien du
nom d’Ermenfried qui avait commis des malversations dans la tenue des finances
avait été menacé de mort par Ebroïn. Prévenant le péril, ce Neustrien avec
l’énergie du désespoir attendit la passage d’Ebroïn qui se rendait aux matines
pour lui fendre le crâne d’un coup d’épée avant de s’enfuir au galop trouver
refuge auprès des Austrasiens.
Une opinion moins partisane d’Ebroïn semble être développée
par les légendes de saint Præjectus (évêque de Clermont en Auvergne † en 676) et
des miracles de saint Martial (évêque de Limoges) qui nous apportent le
témoignage suivant concernant Ebroïn « il réprimait
virilement toutes les méchancetés et iniquités qui se commettaient à la surface
de la terre ; il châtiait les forfaits des hommes superbes et injustes ; il
faisait régner la paix par toute la terre …. C’était un homme de grand cœur,
bien qu’il fût trop cruel avec les évêques. »
Henri Martin dans
son « Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en
1789 », (tome II), ajoute :" Tel est le témoignage que lui rendent
les légendes, qui expriment sans doute l’opinion des Francs de condition
inférieure auxquels il avait partagé les bénéfices royaux, et du peuple des
villes qu’il avait protégé contre la tyrannie des grands ".
NOTE :
Le patrimoine de Léger comportait la seigneurie de Tillenay, qu'il légua
au chapitre cathédral d'Autun. (Pierre Camp : «Histoire d'Auxonne au Moyen Âge»
qui cite ses sources : De Charmasse (Anatole de Charmasse, président de la Société Éduenne à Autun) : Cartulaire de l'Église d'Autun I, p.80 ;2).
RENVOIS :
(1)- Le système des lois personnelles prévalut dans
tous les pays conquis par les barbares, c’est-à-dire qu’il n’y eu point de lois
générales, communes à tous les habitants du territoire, et que chacun fut jugé
d’après la loi de sa nation, le Franc d’après la loi salique, le Bourguignon
d’après la loi Bourguignonne, le romain d’après la loi Romaine, …)
(Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de
France par M. Guizot, professeur d’histoire moderne à l’académie de Paris,
édition Brière -1823) »
(2)- (L’auteur des Gesta Francorum attribue à
Saint Ouen, évêque de Rouen, à qui Ebroïn demanda conseil sur la conduite à
tenir)
Édition 2009